De la liberté obligatoire

De la liberté obligatoire


L’art contemporain ou De la liberté obligatoire

CHRONIQUE DE POINT DE VUE AFFUTÉ… ONDE DE CHOC !

Dessin Main
« Claire théorie pour Obscure création » Artiste JY (encre de chine)

Discussion d’un artiste à l’autre….

C.A. (Artiste-Sculpteur)

L’art n’est pas pour toi un moyen de t’exprimer ?

J.Y. (Artiste et Enseignant en Peinture et en Dessin)

Chère amie,

Refusant de voir le monde comme étant fermé sur lui-même, je ne ressens absolument pas le besoin de m’exprimer.

Je ne dessine pas pour m’exprimer, je ne peins pas pour dire quelque chose ou quoi que ce soit. Je n’ai aucun message à divulguer.
C’est juste pour moi un moyen de créer un rapport au monde, une passerelle, un outil pour sentir le monde, le réel, le concret, encore plus intensément et donc me sentir vivant pleinement.
Je m’interroge sur ce que je vois et j’ai la réponse en le peignant.
Je mesure mon rapport au monde, à l’existence.
Je vibre avec lui.
Avant, je ne peux en avoir que l’idée que je m’en fais et cela ne me suffit pas.

L’homme de Bessines – Fabrice Hyber, CC BY-SA 2.5, via Wikimedia Commons

C’est d’ailleurs ce que fait très précisément Fabrice Hybert, le fameux autoportrait que je vous ai montré dans ton jardin (cliquez-ici pour découvrir l’autoportrait),. Celui qui a poussé Rémy Aron à démissionner de la Maison des Artistes.
Il dessine l’idée qu’il se fait des choses qu’il a sous les yeux, pas les choses en question, juste l’idée à laquelle il donne une représentation.

D’où cet affreux autoportrait puisqu’il dessine l’idée qu’il se fait de lui et non lui-même tel qu’il est.
Il pourrait se voir différemment de ce qu’il pense de lui. Sortir même de lui-même et se découvrir autre qu’il ne se pense.
Mais non, il est tellement concentré sur son égo d’artiste et heureux de s’y enfermer pour une seule raison….celle de s’en libérer.
C’est un peu comme se coincer les doigts dans le tiroir pour juste mesurer le plaisir qu’on a lorsqu’on ouvre le tiroir et qu’on libère enfin nos doigts.

Je dis volontairement « affreux »  parce qu’immédiatement, cela ouvre à la notion de beauté.
Qu’est-ce que le beau ?
Pour moi, c’est l’intensité, rien d’autre, mais pas celle de la douleur que l’on s’inflige pour s’en libérer.

Cela devient donc un monde fermé puisque c’est un monde pensé.
D’où, bien évidemment découle le fait de s’exprimer afin de se libérer de cet enferment.
C’est….j’enferme (mon sujet) dans de la pensée (la mienne, ma pensée) afin d’avoir une justification à vouloir m’en libérer.
C’est ce jeu qui me gêne dans l’Art contemporain.
On pourrait être tenté de faire un parallèle avec Georges Pérec lorsqu’il explique que la liberté consiste dans le fait d’être libre de choisir sa contrainte, mais là encore il faut poser une limite.
Comme ce raccourci que l’on a souvent entendu qui consiste à dire: « Le peintre détruit inévitablement la surface sur laquelle il créé, donc toute création est aussi une forme de destruction, donc, toute destruction peut mener à une création ». Nous avons franchi cette limite et c’est là que nous en sommes. Nous libérer de nous-même, de ce que faisaient les anciens peintres, nous libérer du père, du Maitre, nous libérer de tout et n’importe quoi. Si on ne se libère de rien, on n’est pas un artiste acceptable par les inspecteurs de la création. Rideau. Dehors.
Pourquoi… ?
Parce que c’est une sorte de corruption et que comme pour tout le monde, tu fais ce que l’on te dit de faire sinon… !
Donc liberté obligatoire pour tous…. vous devez vous libérer. C’est le rôle, l’essence même de l’artiste.

Venant donc d’un monde où la pensée régnait et règne encore en Maitre, en Maitresse absolue, le dessin et la peinture m’ont ouvert, offert une voie pour échapper à cette idée qui veut que seule la pensée libératrice soit la solution à presque tout.
Il n’y a donc pas beaucoup de gens aussi volontairement anti Art contemporain que moi pour cette raison précise, je le sais et j’en suis pleinement conscient et je l’assume.

Et je regarde en arrière et je me souviens lorsqu’on trouvait que les étudiants artistes manquaient de culture, d’esprit critique et étaient donc privé de pouvoir « penser »  correctement.
Et je vois un monde qui pense tellement bien qu’il est en train de se suicider, de s’autodétruire, de nous empêcher d’avoir un avenir pour nos petits-enfants.
Et je me rappelle les propos de Cézanne lorsqu’il peint: «  si je pense, si j’interviens, patatras… tout fout le camp ».

Donc, je ne souhaite surtout transmettre aucune idée ni aucune pensée…. surtout pas.

Alors, moi…. je raconte la fabuleuse histoire d’Amour qui existe entre deux phénomènes qui ne sont rien l’un sans l’autre.
La lumière sans qui le peintre ne peut rien faire ni rien voir et la matière sans laquelle la lumière, transparente et invisible ne peut exister.
Je suis un chasseur de lumière.

Tout le reste n’est pour moi que source de conflit car la seule véritable liberté des peintres est ici.
Mais comme tu le dis-toi même, les artistes ont besoin de vivre, de manger, de gagner leur croute.
Alors oui, beaucoup sont sous le joug de leurs commanditaires.
Il y a eu la religion qui les a fait énormément progresser.
Il y a eu « l’histoire » qu’il fallait peindre pour en laisser la trace.
Et puis certains ont réussi à se libérer de leurs commanditaires et ce fut la période la plus libre de l’histoire de l’Art (pictural).
Mais le pouvoir a besoin de représentation.
Et cette représentation est bien le reflet de ce pouvoir, de ces pouvoirs d’aujourd’hui.
Un urinoir pour un monde de merde.
Je veux autre chose.

Je vous embrasse.

J.Y.

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